EN ALLANT CHEZ MON BOUCHER
Samedi je suis
allé chez mon boucher préféré. Je sais jusque là rien de très exaltant, mais
soyez patient , parce qu’en allant chez mon boucher acheter , il faut dire qu’à
ce moment là de l’histoire je ne savais pas vraiment ce que j’allais lui demander,
là maintenant au moment où je l’écris je sais bien que c’est un roosbeef et six
œufs , mais quand je me suis engagé dans l’allée , protégé des premières larmes
du ciel par de vieux arbres penchés sur mon passage avec un infinie tendresse,
qualité que je reconnais également à la viande de mon boucher, enfin quand je
parle de la viande de mon boucher, évidemment c’est un raccourci, il faut que
je précise qu’il y a deux chemins pour aller chez mon boucher et c’est vrai ce
matin là je n’ai pas vraiment pris le raccourci qui passe par le Square de B.,
je dis le Square de B pour ne pas permettre une identification trop facile du
charmant endroit où je vis et pour préserver la tranquillité de mon boucher,
enfin bref ce matin là, j’accomplissais une action
finalement assez banale, comme quoi quand on s’engage dans un chemin on ne sait
pas ce que la vie nous réserve, il est probable que si la pluie ne s’était pas
mêlée de ce qui ne la regardait pas, rien de tout cela ne serait arrivé et
quand j’y songe je me dis que nous somme s vraiment peu de chose . Donc ce
matin là en chemin vers la boucherie, ça me fait bizarre d’écrire cela parce
que cela fait des années que je vais faire les courses chez mon boucher et je n’ai
jamais vraiment eu l’impression d’aller à la boucherie, ce qui prouve bien que
lorsque que l’on fait les choses sans y penser on les vit différemment. Je venais
de m’engager dans l’allée de C ., je n’aime pas beaucoup le nom que la
Ville a donné à ce petit chemin, j’aimais beaucoup le nom que les anciens
rennais qui ont connu ce lieu avant qu’il ne soit envahi par les habitations de
la ZAC Patton, pour expliquer ce que vient faire Patton dans cette histoire, il
faut se rappeler que c’est par cette entrée de Rennes que l’armée américaine a
libéré la ville en 1944 et le Commandant de l’armée de Patton s’appelait
Patton,ce qui n’est sûrement pas un hasard mais nous on dit Patonne bien qu’on
soit Bretons, encore que tout le monde n’est pas d’accord là-dessus, capitale
historique de la Bretagne, certes, mais est-ce pour autant la vraie Bretagne,
faudra que je pose la question à mon boucher qui est finistérien, mais je n’ai
pas une dent contre lui, d’ailleurs sa viande est tellement tendre, mais je ne
vais pas m’étendre là-dessus. Tout cela pour dire que le chemin était appelé, c’est
mon père qui me l’a dit le tenant lui-même de son père, mon grand-père, le
chemin des bohémiens, mais c’est une autre et belle histoire. Et c’est dans ce
chemin, ironie mordante de l’histoire, que j’ai croisé la route, c’est drôle
que j’écrive croisé la route alors que ce n’est qu’un modeste chemin, mais ce
sont les plaisirs de la langue française et de tous ses petits détours où l’on
peut s’égarer , ce que je fais allègrement , je le reconnais , que j’ai croisé
la route de F., là encore une question d’anonymat , et là alors que rien ne me
préparait à cela, à ma grande, que dis-je, ma monumentale surprise, qui n’a
sans nul doute d’égale que la sienne, en écrivant ces lignes je me remémore
chaque instant pour me persuader que c’est vraiment arrivé , que ce n’est pas
le fruit de mon imagination, je me vois fermer soigneusement la porte de
ma maison à clé, traverser le modeste jardin , impossible de le rater dans la
rue c’est le seul jardin fou où les fleurs de toutes espèces sont reines et
font la nique aux haies bien taillées du voisinage quand ce ne sont pas
palissades de bois ou hauts grillages protégeant d’on ne sait quel péril latent
ou imminent je me le demande, puis je me revois, innocent et inconscient ,
comme l’on dit d’un frais de cujus je l’ai encore vu hier il semblait tellement
bien portant, de ce qui allait se passer quelques instants plus tard m’engager sur le chemin dont je peux dire
maintenant qu’il est plus celui de la rédemption que de croix et ce sans aucune grandiloquence, je me
vois comme dans un rêve ou l’un de ces films où la scène se déroule au ralenti
afin que le spectateur, dont on imagine que sans cela il ne comprendrait pas, l’ignare,
je me vois disais je pour abréger vos souffrances, encore qu’il n’est pas certain
que quelque lecteur se soit aventuré jusque là, je me revois dire bonjour à F.