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Rien à raconter
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27 novembre 2008

BONNE RETRAITE

Tu t’en vas et ton départ fera un grand trou qui ne sera jamais comblé. D’ailleurs comment remplace-t-on du vide et comment ferait-on pour recruter une personne possédant ne serait-ce que la moitié de ta vacuité.

Près de dix ans que je travaille avec toi, ce serait méchante ironie d’écrire que nous travaillons ensemble, jamais je ne te l’ai dit parce que je sais que tu as développé des compétences que je n’aurai jamais et dont il convient de se méfier mais, chère collègue, ce soir j’ose ne pas te le dire en face  je t’abhorre depuis longtemps, silencieux dans l’ombre de ton néant.

 

D’abord, laisses-moi te dire que je n’envie pas ton art de ne rien faire en faisant accroire que tu es débordée, laisses-moi te dire que ta malveillance  tranquille ne m’a jamais dupé, toi dont les seules paroles que j’ai entendues dans nos réunions de service furent des hochements de tête de haut en bas quand il fallait bien montrer ton approbation , de gauche à droite quand il fallait marquer la plus saine des réprobations, voire ton indignation soulignée par des jeux de sourcils du plus bel effet et en dix ans jamais tu ne t’es trompée, les responsables de service ne sont succédé et jamais tu n’a commis une seule erreur , experte que tu es dans l’art de servir ce que l’autre attend, je te reconnais chère collègue ce talent que je me réjouis de ne pas posséder.

 

Secrètement je t’admirais quand, piètre tâcheron j’ahanais pendant des heures sur les dossiers que j’allais présenter devant telle commission, tandis que je te voyais, admirable de célérité feuilleter, comme on tourne les pages d’un magazine , tes quelques cinquante dossiers, dix minutes plus tard, tu rangeais soigneusement la vie de ces gens dans ta sacoche en cuir et partait sereine et tranquille ne pas les défendre en toute impunité et bonne conscience.

 

C’est sans doute ce même remarquable esprit de synthèse qui te permet de recevoir quinze personnes là où j’en écoute sept ou huit en trouvant encore que je ne leur ai pas assez consacré de temps. Sans doute aussi que ces personnes là comprennent vite que l’entretien est clos tant tu excelles dans l’art de fermer portes et fenêtres, toi qui des trémolos dans l’œil et la voix humide clame en toute indécence comme tu aimes les entretiens difficiles quand il y a de la souffrance, du malheur, toi pour qui l’autre n’existe pas, toi qui a sans doute oublié jusqu’à l’existence du mot empathie. Pour avoir, chère collègue, une chance de pénétrer le monde intérieur de l’autre, encore faut-il que cet autre existe.

 

Il faut aussi que je t’avoue que me manquera ce spectacle de ta gentillesse obséquieuse, quand sourire mielleux , paroles sucrées , tu condescendais à me solliciter avec toujours cette même entame que je connaissais par cœur « Dis Loïc, toi qui sais tout.. » Ce que je sais, c’est que désormais plus personne ne me le dira de cette manière là.

 

Enfin, je dois te remercier de m’avoir mis sous les yeux pendant toutes ces années la caricature de ce que jamais je ne voudrais devenir, de m’avoir sans cesse démontré ce que peut produire ce métier quand on a abandonné toute exigence, quand on a arrêté d’écouter , quand on a arrêté de regarder,quand on a renoncé tout simplement et si jamais un jour je sens que je relâche un peu l’effort, alors je me souviendrai de toi et je redresserai la tête, toujours convaincu que je peux changer quelque chose. C’est l’essence même de notre métier, il faut croire qu’il y a bien longtemps que tu n’avais pas fait le plein.

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Commentaires
T
Lisa, déjà croisée..,.... ma charmante collègue , en route pour une retraite bien imméritée, est une assistante sociale...
L
Je ne sais pas exactement quel est ton métier mais je connais une personne telle que tu décris ta collègue et cette personne est ... famille d'accueil ...
T
Oui Coumarine, c'est bien la réalité qui est terrible, et c'est bien pour les personnes que nous recevons que je suis heureux de ce départ annoncé ( encore environ 3 mois) ; Ce qui me met le plus en colère c'est que le secret professionnel de mon métier est là pour protéger les personnes que nous écoutons alors que "chère collègue" s'en sert pour se protéger elle, et ça me révolte...
T
Sans doute plus soulagé que je ne veux bien le dire, même si je limite au strict minimum mes contacts avec cette "chère collègue", ce n'est jamais très sain avec ce type de personnes...
C
et toujours des mots très denses...<br /> ce portrait est terrible, Loïc..<br /> lire en dix minutes un dossier concernant des gens qui souffrent...c'est terrible
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