CONSIGLIERE
La petite-fille ne disait pas un
mot. Sa grand-mère l’accompagnait .Elle avait pris les choses en main, armée
d’un simple stylo, elle allait faire un sort à la liasse de documents administratifs
qu’elle avait posée avec détermination sur le bureau. L’affaire serait vite
réglée. Son visage racontait les
voyages, les souffrances, les joies et les malheurs de la famille. Elle lisait
et remplissait les cases avec rapidité et assurance, la jeune femme l’observait
en silence, respectueuse. Elle n’avait rien à dire. Elle n’avait sans doute pas
son mot à dire.
Mais c’était le dossier de cette
jeune fille, c’était la vie de cette jeune, c’était la vie qu’allait donner
cette femme et j’avais des choses à lui dire. Mais il fallait passer par-dessus
la grand-mère, matriarche, chef de clan, chef de la Famille. Attendre, trouver
le bon moment, ne pas rater l’occasion qui se présenterait, cette hésitation
par exemple, minuscule faille dans la matriarcale assurance, mais ne pas l’humilier
devant sa petite-fille, poser des mots légers mine de rien, juste un tout petit
changement subtil, un coup de canif discret dans le pouvoir absolu de cette
grand-mère. Un tout petit signe, un regard surpris vers la grand-mère, un
sourcil qui se lève, un sourire qui s’esquisse, nous sommes trois désormais et
même si j’avance tout doucement, je sens bien que quelque chose a changé, de
manière infinitésimale, la façon de
jouer les rôles s’est modifiée, comme si une petite-fille de 20 ans découvrait
une autre grand-mère derrière la Chef de la Famille, celle qui a assumé tant de
choses depuis toutes ces années.
Le verdict de la grand-mère
tomba en fin d’entretien, comme pour me dire j’ai bien vu ce que vous avez
essayé de faire, « vous êtes vraiment très sympathique et quand je
reviendrai, ce sera vous que je demanderai et personne d’autre ». Je
songeai, guettant au dehors l’ombre d’Al Pacino, me voilà devenu le Consigliere de la Famille.